Le Luxe et les JO de Paris 2024 : les Codes s'alignent-ils ?

Image médailles des JO de Paris 2024

Définir le « luxe » semble intuitivement simple, mais peut se révéler plutôt complexe en réalité. Cette définition, évolutive et changeante, dépend de trois facteurs importants : le rapport au luxe de la personne qui définit le terme (que ce soit un artisan, un client, une marque, une association ou un lobby du luxe), la période à laquelle le terme est défini (le luxe n’ayant pas la même signification à travers les âges), et, de manière significative, la culture nationale de celui qui offre la définition. La perception du luxe varie donc en fonction de la valeur que chacun lui attribue à un moment donné. Cette valeur prend la forme d’une promesse : une promesse de sérénité, de statut social, d’une émotion renouvelée à chaque utilisation, d’une expérience unique, et/ou des meilleurs matériaux et savoir-faire. Sans oublier, bien entendu, une touche d’histoire liée à l’origine de la marque.

D’un point de vue académique, la définition du luxe a évolué au cours des vingt dernières années, tout en conservant quelques invariants essentiels. Une des premières mesures du luxe (Vigneron & Johnson, 2004) repose sur la perception des clients selon quatre dimensions : la qualité, la rareté, l’exclusivité et la visibilité. Plus tard, en 2012 (Heine), s’est ajoutée la notion de « symbolique » (c’est-à-dire, que révèle la possession de cette marque à propos de moi, soit à moi-même, soit aux autres ?) et, encore plus tard en 2015 (Kim & Johnson), la notion de temporalité. Pour la première fois dans la littérature académique, il a été envisagé – et intégré dans une échelle de mesure – qu’une marque de luxe ne doive pas nécessairement avoir plus de 50 ou 100 ans d’existence.

Lorsqu’une marque de luxe est perçue comme qualitative, rare et exceptionnelle, elle est considérée comme légitime. Elle correspond alors aux normes et aux valeurs traditionnellement associées au luxe. C’est précisément cette légitimité perçue qui distingue une marque de luxe d’une marque « lifestyle » ou d’une marque dite « premium ». Cependant, cette légitimité perçue n’est pas suffisante pour qu’une marque soit qualifiée de luxe. Il est également nécessaire que la marque soit perçue comme offrant l’excellence à ses clients. Une marque ne peut donc être définie comme de luxe que si elle est capable de démontrer, et surtout de prouver, en quoi elle excelle. C’est cette excellence perçue qui différencie les marques patrimoniales (fortes en légitimité mais dont l’excellence perçue est relativement faible) des marques dites de luxe (fortes en légitimité et dotées d’une excellence perçue élevée).

Fort de cette compréhension des différentes dimensions qui définissent ou catégorisent le luxe par rapport aux autres marques (i.e., premium, lifestyle ou patrimoniales), tentons de comprendre comment les codes des JO renforcent ces distinctions. Les JO, avec leur richesse historique et symbolique, incarnent un terrain fertile pour les marques de luxe, leur permettant de renforcer davantage leur distinction. La perception des bénéfices à long terme s’articulera autour de quelques éléments principaux, dont l’importance peut varier : la grandeur et la portée de l’événement, son ancrage dans l’histoire et la localisation de l’événement, le concept de rareté, et un levier d’inclusion et de cohésion sociale, ô combien crucial pour la prochaine génération de clients de ces marques d’excellence. Enfin, l’alignement et l’authenticité perçue du partenariat seront abordés.

LA GRANDEUR ET LA PORTÉE DE L’EVÉNEMENT

Les JO sont une compétition internationale qui célèbre l’excellence, attirant l’attention de divers segments du marché du luxe : foyers aspirationnels, nouveaux riches et fortunes familiales. Les valeurs ou bénéfices recherchés par les clients des marques de luxe, qu’ils valorisent le luxe pour ses fonctions intrinsèques, comme récompense de leurs efforts, ou simplement pour se faire plaisir, trouvent un écho dans l’esprit des JO. Cette compétition, ancrée dans l’histoire et accompagnée d’un cérémoniel riche, renforce les marques de luxe en offrant un héritage fort. Comme pour ces dernières, l’origine lointaine des JO confère une crédibilité et une légitimité accrues, rendant leur association particulièrement bénéfique.

IMPACT DE L’HÉRITAGE ET DE LA LOCALISATION

L’association des marques de luxe avec la ville de Paris, hôte des JO, représente une opportunité exceptionnelle. Cette collaboration permet non seulement d’accroître la notoriété de certaines marques, notamment celles plus élitistes et souvent peu visibles dans les médias grand public, en particulier dans certaines catégories de produits pour lesquels une publicité directe peut être contre-productive, mais également de renforcer leur prestige. Paris, considérée comme un épicentre de la mode et du luxe, contribue par son image à rehausser davantage l’aura des marques associées. Cet effet de halo bénéficie aux marques qui s’y associent, renforçant leur image de sophistication et d’élégance intrinsèquement liées à la capitale française. Les marques renforcent donc leur image, leur héritage culturel tout en montrant qu’elles partagent les valeurs historiques des JO (effort, courage, perfection et respect) sans s’engager dans une démarche commerciale directe. Les artisans des Maisons et les athlètes, figures centrales des JO, incarnent ces valeurs, offrant une histoire commune inspirante décorrélée des préoccupations commerciales. Cette stratégie contribue à l’« artification » des marques, en les plaçant dans un contexte de passion et d’émotion, propice à une réception positive de la marque par les spectateurs et les participants.

NOTION DE RARETÉ ET VISIBILITÉ

Le partenariat avec les JO offre une plateforme unique pour maximiser la visibilité des marques tout en maintenant une perception d’exclusivité. Les JO, probablement l’événement le plus regardé au monde, permettent aux marques d’accroître leur visibilité de manière significative (ce que l’on nomme aussi la capacité de « séduction » de la marque) tout en minimisant l’impression de commercialisation (la « sélection » ou l’acte de possession). Cette dualité entre visibilité étendue et exclusivité maintenue est essentielle au succès des marques de luxe, car elle renforce leur capital de marque ou leur «dream value» (Dubois & Paternault, 1995). Les JO, en attirant l’attention mondiale tout en valorisant l’excellence et l’élitisme, offrent ainsi une opportunité inégalée de parvenir à cet équilibre crucial.

INCLUSION ET COHÉSION SOCIALE

Les JO, au-delà de leur nature compétitive, sont un levier d’inclusion et de cohésion sociale, rassemblant athlètes et supporters du monde entier. Pour les marques de luxe, c’est une occasion de s’intégrer dans ces échanges, de renforcer les liens avec leur clientèle actuelle et de séduire de nouveaux prospects. La jeune clientèle des marques de luxe recherche non seulement la qualité, mais aussi des marques engagées, innovantes et qui savent se faire entendre.

ALIGNEMENT ET AUTHENTICITÉ DU PARTENARIAT

Il est crucial que le partenariat entre la marque et les JO soit harmonieux et perçu comme authentique. La marque doit avoir montré un intérêt antérieur pour le sport (ou les évènements associés au sport) pour que l’association semble naturelle et cohérente. Selon que la marque est bien connue du grand public ou destinée aux connaisseurs, la forme du partenariat peut varier en impact. Par exemple, la maison Chaumet, en magnifiant les médailles des JO, peut séduire une clientèle de connaisseurs hédonistes (i.e., les clients qui consomment le luxe avant tout pour le plaisir que cela procure). Ce segment de marché sera particulièrement sensible à ce partenariat. Cependant, afin de maintenir l’exclusivité aux yeux ce cette clientèle, des éditions très limitées sont préférables. La question se pose donc de savoir si les quelques 5,000 médailles décernées vont avoir l’effet espéré sur le segment de marché hédoniste. De la même manière, pour les marques de Moët Hennessy, s’associer aux programmes d’hospitalité des JO peut renforcer leur présence auprès des clients hédonistes, tout en exigeant une stratégie prudente afin d’éviter toute perception de sur-commercialisation. Bien sûr, la portée visée par Moët Hennessy est nettement plus étendue que celle de la Maison Chaumet et la clientèle n’aura pas la même approche de la rareté pour ces deux marques.

En conclusion, l’association avec les JO de Paris 2024 représente une opportunité unique pour les marques de luxe de renforcer leur image, d’élargir leur portée et de se connecter avec une audience mondiale diversifiée. Elles bénéficient de l’émotion et de l’enthousiasme engendrés par les compétitions sportives, permettant ainsi de connecter émotionnellement avec les clients (potentiels) sans nécessiter une intrusion marketing trop visible. Cette stratégie contribue à préserver et même à renforcer l’image de rareté et d’exclusivité des marques, aspects fondamentaux pour attirer et fidéliser une clientèle de haut standing et faire rêver les clients aspirationnels. En capitalisant sur les valeurs partagées et l’héritage historique des JO, les marques peuvent donc non seulement améliorer leur visibilité et leur légitimité, mais également établir des relations plus solides et plus significatives avec leurs clients. Cependant, le succès de ce partenariat entre LVMH et les JO de Paris 2024 dépendra de la capacité des marques à maintenir l’authenticité et à aligner leur stratégie et leurs actions avec les valeurs et les attentes de leurs cibles au sens large.